
Sophie et l’enfant de l’île
1. Un été sur le Saint-Laurent
Enfin! C’est l’été! Il fait chaud et je n’ai pas de devoirs. Comme chaque année, papa, maman et moi partons en voilier! Cette fois-ci, nous mettons le cap sur la Gaspésie. J’ai tellement hâte de voir les Fous de Bassan, ces grands « oiseaux plongeurs »! J’adore la vie en mer, c’est magique. Parfois, il y a des tempêtes, mais ça ne me fait pas peur. Je suis Sophie l’aventurière, comme on me surnomme à l’école.
Pour le départ, papa chante J’ai quitté mon île de Daniel Lavoie. C’est la chanson familiale qui marque nos voyages. Je me demande ce qui nous attend cet été.
Je me couche sur le pont et regarde les nuages. Ils prennent tant de formes amusantes. J’aperçois une baleine et un dragon. Oh! Il y a même un ours qui manie un sabre. Je ferme les yeux et me laisse bercer par les vagues.
Quand je les ouvre à nouveau, nous sommes dans le brouillard. Mais qu’est-ce qui se passe? Papa est à la poupe, maman est à l’avant. Elle lui donne de temps à autre des directions à prendre. Je jette un œil à la boussole que je garde toujours sur moi. L’aiguille tourne sans arrêt. Soudain, une île apparaît derrière le mur de brume. On éteint le moteur et maman jette l’ancre.
– On s’arrête ici en attendant que le temps s’éclaircisse, décide maman.
– Dis, est-ce qu’on peut explorer l’île? j’ose demander.
Papa m’adresse un sourire complice.
2. À la découverte de l’île
J’attends que mes parents me rejoignent dans la barque. Je me tortille tellement je suis contente. C’est ma première aventure de l’été! Allons découvrir cette île mystérieuse tout droit sortie de nulle part.
– J’ai bien hâte de voir ça, affirme papa en s’installant à mes côtés. Je connais ce fleuve comme le fond de ma poche et cette île n’est pas censée exister.
– On va peut-être la reconnaître en la visitant, chéri, dit maman en prenant place face à moi. Après tout, le brouillard nous a fait perdre le nord.
– En approchant, j’arrive à distinguer des falaises, des arbres, une baie de sables et de roches, rien de plus normal. Par contre, la brume rend le tout mystérieux et obscur… Je jette un œil autour de nous, il n’y a pas d’horizon! J’avoue que je commence à avoir un peu peur.
– Nous nous échouons sur la plage. Je surprends une ombre qui s’enfuit dans les bois. Quelqu’un nous espionnait! Je saute hors du bateau et cours vers l’endroit où se tenait la personne. Une empreinte de pas… Je pose mon pied à côté. Il est à peu près de la même taille!
– Maman! Papa! Il y a un enfant ici!
3. L’enfant des bois
Je suis les traces menant dans la forêt, mes parents à ma suite. Soudain, je me retrouve dans une clairière. La brume s’envole et j’aperçois de nouveau le soleil… Je me retourne, ma famille a disparu. Non!
– Ne t’inquiète pas Sophie, me rassure une voix derrière moi. Nous sommes dans une autre dimension. Pour tes parents, rien ne s’est passé. Leur temps est figé. Tu les retrouveras bientôt.
Un garçon de mon âge se tient au centre du cercle d’arbres. Il porte un pantalon tout déchiré et un bandeau en cuir qui retient ses longs cheveux. C’est quoi cet accoutrement?
– Qui es-tu? je lui demande, éberluée. Qu’est-ce que tu veux dire par « autre dimension »? Et comment connais-tu mon nom?
Il me sourit et me fait signe de le suivre. Je ne sais pas si je devrais. Maman me répète sans cesse de ne jamais suivre d’étrangers. Mais là, ce n’est qu’un enfant comme moi! Il ne doit pas y avoir de danger, non?
Le garçon part en courant.
– Hé! Attends-moi!
Je tente de le rattraper. Après une course folle à travers bois où je me suis égratignée au moins dix fois, il finit par ralentir un peu et je réussis à le rejoindre.
– Vas-tu finir par répondre à mes questions? je lui redemande, tout essoufflée.
– Oui.
Le coureur s’arrête. Devant nous se trouve un...
– Un puits?
4. À ne pas prendre à la légère
– C’est le puits des rêves d’enfants, Sophie. J’en suis le gardien.
Je m’approche et regarde au fond.
– De quelle couleur vois-tu l’eau? se renseigne-t-il.
– Mauve, je réponds, incrédule.
– Intéressant… Voilà pourquoi tu es là! s’exclame-t-il comme si c’était une évidence.
– Qu’est-ce que tu veux dire? Je ne comprends toujours pas.
– Tu es pure. Tu as donc le droit d’utiliser ce puits.
Je le fixe, des points d’interrogation dans les yeux.
– Si tu es ici, c’est que tu as des rêves. Tu sais qu’ils peuvent devenir réels?
Il ramasse un caillou et me le tend.
– Pense fort à un désir que tu as. Il doit être puissant, beau et pur. Puis jette la pierre dans le puits.
Je suis ses indications. Mais qu’est-ce que je pourrais bien souhaiter? Oh! Bien sûr… Je lance la roche. Un nuage mauve jaillit alors du trou. Il s’élève dans le ciel en nous enveloppant petit à petit.
– Bon signe! Ça veut dire que ton rêve est accepté. N’oublie pas le plus important, Sophie : y croire.
Il jette un œil à ma ceinture de laquelle pend ma boussole.
– Suis l’aiguille, ajoute-t-il en souriant.
La brume nous avale complètement. Je ne vois plus mes mains! Après une éternité, le temps s’éclaircit. Je peux enfin distinguer les alentours. Je suis de retour avec mes parents. Ils sont immobiles telles des statues. Leurs regards sont fixés au loin. Le visage de ma mère se tourne vers moi. Elle se met à parler comme si de rien n’était.
– Sophie! appelle-t-elle. Ralentis un peu, on commençait à te perdre!
Je lui saute dans les bras.
– Mais qu’est-ce qui t’arrive, ma chérie? demande-t-elle, amusée.
– On peut retourner au bateau, dis?
Le brouillard s’était dissipé. On peut à nouveau voir l’horizon et le bateau qui nous attend au loin.
De retour sur le voilier, je consulte ma boussole. Elle ne tourne plus dans le vide. Elle ne pointe pas le Nord, non plus… Suis l’aiguille a-t-il dit.
FIN
